Dans le cadre du bicentenaire de la Manu, le CCHA et Manu-Chatel organisaient samedi 25 mai une table ronde sur l’école de la Manu. Elle s’est déroulée dans l’auditorium du Conservatoire de musique de Châtellerault (sur le site de la Manu) mis à la disposition des deux associations par la ville. 3 thèmes ont été présentés au nombreux public présent, ils sont résumés ci-dessous ainsi que les diaporamas projetés dans l’a.m.
Thème 1 : Vie de l’école Animateur : Pierre Bugnet, CCHA
Intervenants : Claude Boutillet, Manu-Châtel, ancien élève et moniteur
Pierre Herpailler, Manu-Châtel, ancien élève
Claude Ligeard, CCHA, ancien élève
Pierre Herpailler rappelle la sélectivité du concours d’entrée. Il évoque les conditions de travail durant les trois années d’étude : horaires identiques à ceux des ouvriers, exigences de sérieux et de discipline, importance du travail manuel dans différents domaines. Le diplôme délivré à l’issue de la troisième année était supérieur au CAP que les élèves passaient parfois dans plusieurs spécialités. Il permettait une embauche immédiate dans les entreprises industrielles de la région.
Claude Ligeard complète ces propos. Il rappelle l’obligation de résultat qui était impérative dans toutes les matières (obligation de la moyenne). Il insiste également sur l’importance du sport et l’esprit de camaraderie régnant à l’école.
Claude Boutillet, sorti de l’école en 1952 a travaillé comme ouvrier à la Manu avant de passer le concours de moniteur tourneur. Il se souvient de la difficulté de ce concours puis du stage de formation suivi à Puteaux. Il a ensuite fait travailler les élèves par groupes de six, insistant notamment sur le respect des consignes de sécurité. Malgré les 45 heures de travail hebdomadaire demandées aux appentis, l’ambiance était excellente et les résultats aux CAP ne connaissaient jamais d’échec
Thème 2 : Vie de l’école Animateur : Bernard Fy
Les différentes voies possibles pour les lauréats étaient : poursuivre des études dans les écoles de la DEFA ; travailler à la MAC ; travailler dans d’autres établissements d’Etat ; travailler dans des entreprises industrielles ou commerciales, locales ou non.
Michel Comte, promo 1951-54
Instructeur d’armes au 2e BMRG. Usine de Domines : outilleur, Panhard Paris dépannage des machines-outils – Sud-aviation Toulouse – 1962 SEPR future SEP projet de torpille à moteur à réaction -Imprimerie de L’Echo de la Mode Paris – Leclanché Poitiers – Sochata – Jaeger – Microméca
Claude Dubreuil, promo 1962-65
2 ans à l’EFPN de la MAC – 1 an EFTS de Toulouse – Travaille au LRBA de Vernon 13 ans dessinateur projeteur : fusée Véronique. Retour à Châtellerault : dessinateur à la mairie de la ville : voirie, travaux publics, sauvegarde et déconstruction du site de la Manu- Responsable du BE -responsable des Services Généraux (création de l’ITES, Ecole de cirque…) – directeur du Centre Technique Municipal.
Jean-Claude Viroulaud, promo 1967-70
Ecole d’apprentissage : métier Tourneur – Le 20 juin 1970, intègre la SFENA – Formation ADEPA machines à commandes numériques Tour HZ à 2 tourelles, tour à palettisation – 1993 essaimage de SEXTANT-AVIONIQUE vers MECAFI Chef d’équipe, adjoint au directeur de production, maître de stages
L’école incitait les apprentis à poursuivre des études dans la filière de l’armement, 13% des lauréats de de l’EFPN de la MAC, entre 1948 et 1965, ont ainsi poursuivi des études pour accéder au niveau technicien dans les ETN et 3% ont pu accéder au niveau ingénieur par les ETS.
Quatre anciens élèves ont bien voulu nous présenter leurs carrières. Elles sont diverses, variées et illustrent la polyvalence et l’aptitude à la mobilité professionnelle résultant de ces formations.
Le cas de environs 500 carrières duales dues à l’annonce de la fermeture de la MAC en 1961 avec des reconversions professionnelles vers des entreprises transférées à Châtellerault pour adoucir la transition a été évoqué.
Il apparait une convergence intéressante entre les anciens apprentis de l’EFPN de la MAC qui ont rejoint le LRBA de Vernon ou la SEPR puis la SEP ou la SFENA à la Brelandière et qui ont contribués à l’aventure spatiale européenne depuis les programmes précurseurs : les fusées Véronique, Diamant puis Ariane.
EFPN : Ecole de Formation Professionnelle Normale
MAC : Manufacture d’Armes de Châtellerault
DEFA : Direction des Etudes et Fabrications de l’Armement
ETN : Ecole Technique Normale
ETS : Ecole Technique Supérieure
LRBA : Laboratoire de Recherches en Balistique et Aérodynamique
SEPR : Société d’Etudes pour la Propulsion à Réaction
SEP : Société Européenne de Propulsion
SFENA : Société Française d’Equipements pour la Navigation Aérienne
Thème 3 : le rayonnement de l’esprits Manu Animatrice : Marie-Claude Albert
Participants :
- Marc Bréjard
- Jean-Claude Merle
- Patrick Mortal
Projection de diapositives : – extrait du contrat d’apprentissage de Jean-Claude Massonneau chez Fabris, 1961 ( 16 ans) : valeurs de fidélité, respect, obéissance – La devise Travail, ordre, discipline
Mot d’introduction
-Lien avec la table ronde précédente sur les parcours (diapo 1) à partir d’un contrat d’apprentissage hors-Manu : valeurs transmises de « fidélité, respect, obéissance ».
-Explication de la devise inscrite dans l’une des salles de l’Ecole depuis 1941 ( diapo 2) : Travail, ordre, discipline, élaborée sous Vichy dans le cadre du programme de la « Révolution nationale », maintenue par la suite dans un contexte républicain et démocratique.
– Le point commun entre les interlocuteurs c’est d’être devenu formateur ou enseignant.
Jean-Claude Merle
Les étapes de son parcours : de l’apprentissage, puis de l’Ecole technique Normale de l’Armement à l’Enseignement technique supérieur Universitaire (IUT de Poitiers).
3 années d’apprentissage de 1949 à 1952, CAP d’ajusteur, 4e année de perfectionnement à l’Ecole de St Etienne (Ecole de la DEFA) : CAP de dessinateur détaillant puis Brevet d’Enseignement industriel spécialité Mécanicien
Durant deux ans, ouvrier qualifié à la MAC groupe V (ouvriers plus autonomes capables de changer des pièces et de régler la machine), affecté au fraisage du pistolet automatique 9 mm
Après le service militaire, préparation du Concours d’entrée à l’Ecole préparatoire de l’Armement à Limoges en cours du soir
1 an à cette Ecole puis entrée à l’Ecole technique Normale de l’Armement à Arcueil ( Reg parisienne) sur concours : deux ans
Choisit l’affectation à la MAC en 1962, mais non obtenue en raison du contexte de pré-fermeture de l’établissement.
Démissionne du corps des Techniciens de l’Armement et entrée à l’entreprise privée Jaeger ( équipements de précision pour l’automobile et l’industrie), affecté au contrôle-qualité
Devenu responsable de la formation pour les personnels de l’établissement
Formateur permanent (à l’issue d’un temps de vacataire) dans l’agence régionale du Bureau des temps élémentaires, un organisme de formation et de conseil, fonction exercée durant 20 ans : actions de formation inter-entreprises ( y compris dans le secteur hospitalier), action de formation en management…
Marc Bréjard
Les étapes de son parcours : de l’Ecole d’apprentissage à l’enseignement technique en Lycée d’enseignent professionnel (Mécanique)
- 3 années d’apprentissage à l’école de la Manu, 1961-1964
- A Toulouse, école d’armement
- A la SFENA en 1967
- Au laboratoire de recherche balistique et aérodynamique de Vernon 1967-1970
- Concours de l’Education nationale comme PCET, puis ENNA 5 Ecole Normale Nationale d’Apprentissage) à Paris.
- Affecté ensuite comme professeur de Mécanique générale au CET de Vernon en Normandie, puis à celui de Montmorillon, et à celui du Verger en 1977 devenu LEP (Lycée d’enseignement professionnel). où il enseigne la maintenance des systèmes automatisés notamment dans les classes de baccalauréat professionnel qu’il a contribué à monter en 1986.
Résumé des interventions
Question 1 sur les valeurs: Est-ce que la devise « Travail, ordre, discipline » a continué à se diffuser au travers de votre expérience de formateur ? Dans quelle mesure ? Comment a-t-elle évolué au fil du temps et des secteurs dans lesquels vous êtes intervenus ?
Marc Bréjard se souvient de cette devise affichée dans la salle de travail à l’Ecole de la Manu. Il explique ce que cela lui évoque : « Travail » ce sont les horaires lourds, la rigueur ; l’ « Ordre » lui évoque une anecdote personnelle, « discipline », c’était faire comprendre les règles imposées dans la classe.
J.C Merle évoque aussi les horaires prolongés . Il explique l’importance de la discipline dans ses fonctions de formateur, notamment l’ obligation de respecter la demande du client, d’avoir une démarche-qualité.
Question 2 sur le contenu pédagogique de l’enseignement professionnel : L’apport d’une formation professionnelle de qualité dans votre métier de formateur au sein des entreprises et au sein de l’Education nationale ? Lien entre théorie et pratique ?
Marc Bréjard insiste sur une bonne capacité d’adaptation. Il a pratiqué une pédagogie de la rigueur et du travail bien fait et relié sans problème la formation pratique et théorique ( il précise qu’à la manu il y avait deux sortes de professeurs ). La liaison entre l’école et le milieu professionnel s’effectuait tout naturellement lors de stages en entreprise des élèves de Bac professionnel et il entretenait une bonne relation avec les tuteurs dans l’entreprise.
JC Merle insiste sur la pertinence d’ une pédagogie adaptée à toutes les formes d’intelligence, de l’abstrait au concret ou du concret à l’abstrait comme le démontrait Jean Grimal. A partir d’exemples d’entreprises où il est intervenu pour former le personnel, il affirme le postulat qu’il a toujours respecté : donner du sens à ce qui est enseigné.
Question 3 : Qu’avez-vous retenu de votre expérience professionnelle : de l’apprenti à l’ingénieur et au formateur en management, de l’apprenti au professeur ?
Marc Bréjard a retenu de son expérience d’apprenti, la somme de travail = 45 h / semaine, l’ obligation de faire toujours mieux et le plaisir du travail bien fait. En tant que professeur, il a transmis les mêmes valeurs, le respect des plans , la tolérance Zéro dans la réalisation des pièces, la bonne relation avec les élèves mis en position de réussir : certains de ses élèves devenus ingénieurs ou responsables de secteurs dans leur entreprise, ou entrepreneurs.
JC Merle a retenu l’importance de bien connaître le travail des exécutants quand on exerce des responsabilités, de bien maîtriser tous les savoirs et de les appliquer dans un environnement précis. Il a également retenu la nécessité de croiser deux cultures : « la culture descriptive » fondée sur l’objet et la succession des tâches, et « la culture fonctionnelle » qui permet d’analyser pour élaborer une stratégie, un système, sur le long terme en dépassant les contraintes économiques de rentabilité, de commercialisation.
Patrick Mortal conclut sur le réseau des écoles professionnelles de l’Armement : connivence ou rayonnement ? Il présente le positionnement de l’historien, auteur d’une thèse de doctorat sur les armuriers de l’Etat du grand siècle (XVIIe siècle) à la globalisation ( 1665-1989) et co-auteur de l’ouvrage collectif qui vient de sortir ‘Hommes et femmes dans les usines d’armement en France en 1914-1919’ .
Le réseau des écoles de l’Armement de Terre, connivence ou rayonnement ?
La formation a toujours été une clé de l’efficience des établissements militaires étatiques : dans les vieux métiers le maître doit former des apprentis pour gagner son droit à pension, puis le passage définitif au système métrique conduit à ouvrir des cours.
La « révolution des machines » de la fin du XIXe siècle implique la création des écoles d’apprentissage ; étonnant : c’est alors que l’on exige de finir les pièces à la machine que le premier geste partagé par tous les apprentis est celui de la lime (la bâtarde) sur l’acier : indispensable apprentissage de la matière malléable…
Le rayonnement de ces écoles qui recrutent sur concours est horizontal (non recrutés en fin d’apprentissage ou reconvertis après les fermetures, l’efficience au travail des anciens apprentis se retrouve dans tous les métiers) et horizontal à l’interne : la pyramide des EFT, ETN, école d’ingénieur ouvre des chemins de promotion.
Cette ouverture est cependant le fruit d’un univers de connivence : entre directions et familles des ouvriers d’Etat dont les enfants bénéficient d’une priorité au recrutement, entre les syndicats et le ministère qui ont le même intérêt à la professionnalisation, entre les autorités politiques et économiques locales pour qui les personnels des « manus » sont un enjeu, entre directions et ouvriers (ceux-ci sont représentés dans la commission de recrutement), au sein de chaque promotion, espace de camaraderie durable, entre les générations dans un rapport de maître à disciple.
Au total, un système mobilisateur et efficace. On peut pourtant se demander si sa solidité même n’aura pas contribué à un certain retard à s’approprier les technologies nouvelles en fin d’époque, par exemple à passer d’une culture d’ingénierie des objets à une culture scientifique générale permettant d’intégrer différentes innovations aux systèmes d’armes…
Conclusion Diaporama